Réévaluation critique de l'Idéalisme platonicien

Nombreux sont ceux d'entre nous qui connaissent la célèbre allégorie de la caverne de Platon. Elle cherche à nous faire considérer la différence qu'il y a entre les illusions et les préjugés des humains qui habitent le monde sensible (identique à une caverne) ; formes pâles ou mauvaises copies du Réel. L'« idée », « eidos » platonicienne est une réalité indépendante de la pensée qui désigne une réalité véritable dont la lumière pourrait aveugler mais qu'il est nécessaire d'aborder pour ne pas travestir notre intelligence et nos connaissances.

Ainsi, pour Platon, l’“Idée” est la réalité même ; elle subsiste indépendamment des projections et du regard sur le monde ; elle est transcendante par rapport aux choses sensibles qui sont trompeuses. Si selon Platon, le constat est, que dans ce monde sensible, nos comportements, nos projections et notre manière d’exister sont corrompus, cela signifie qu’il existe un monde non corrompu, un monde auquel nous pouvons accéder par un travail ascendant (dialectique) jusqu’aux Idées. La philosophie est dualiste compte tenu qu’il y a deux approches, l’une illusoire, celle du monde physique, et l’autre orientée et à l’écoute du Réel, monde des Idées pures et éternelles qui ne se dégradent pas comme le monde physique.

Nietzsche, dans ses œuvres, notamment "Ainsi parlait Zarathoustra", remet en question cette dichotomie platonicienne, soulignant la complexité de la réalité et la nécessité de transcender les concepts dualistes.

Je suis loin d’être la seule à critiquer la proposition philosophique de Platon et je suis prête à encourir quelques sentences, blâmes ou mépris de la part de certains amis ou collègues qui pourraient remarquer une critique acerbe vis-à-vis de la nature humaine ou pour d’autres quelques signes d’alacrité cynique et effrontée mais certains pourraient bien y retrouver et constater la conscience et l’éclairage qu’ils ont déjà des hommes.

Monde honorable ou monde sans honneurs ?

Ainsi, n'est-il pas délétère et trompeur de faire croire qu’il existe un monde parfait auquel de manière vertueuse et par ascendance nous pourrions accéder ? N’est-il pas, en outre, piètres tromperies que de renforcer l’illusion que l’homme possède déjà, en lui-même quelques qualités morales, vertueuses et plus encore cette propulsion (propension) possible d’accéder à l’« irréprochable justice » et à une « Véritable éthique » ? N’est-il pas fallacieux, illusoire, en d’autres termes, que de se faire croire qu’il y a, en nous, d’ores et déjà, cette tendance à l’éthique, à l’intégrité ou à la bonté d’esprit et honorabilité

On renverse, ici, la proposition de Platon.

Sonr niées les dispositions ou aptitudes à accéder au monde des Idées platoniciennes et sont répudiées cette proposition d’une sphère idéale ou forme de paradis de l’éthique.

Est-il possible d’agir selon des principes et des valeurs éthiques quand bien même soumis aux bénéfices matériels, à la recherche de richesses, de volonté de pouvoir, de besoins de reconnaissance et de possessions de toute sorte ? La question de l'éthique est sans illusions !

Éthique ou connaissance lucide ?

L’expérience de l’humaine condition, semble alors mener au constat que la probité, la liberté, la self-reliance (autonomie), l’éthique ne sont pas des qualités bonnes mais plutôt les qualités d’un regard acéré et non compatissant envers soi-même. Le terme compatissant devrait être converti en « connaissance lucide vis-à-vis de la nature humaine ». Une illusion se dérobe ; c’est celle d’un être humain qui pourrait être « bon » par « nature-transcendante ». Ne devrions-nous pas alors sortir des illusions mortifères pour observer de plus près l’humaine condition ? Ce constat comme cette question sont loin d’être des critiques et désillusions ; bien au contraire, elles requièrent de se confronter à la violence et à l’inconstance de l’être humain qui déroutent autrui et se déroute lui-même dans l’absurde condition de l’expression de son existence.

La corruption

Concevoir en quoi les êtres humains, vous, moi, nous tous, serions fondamentalement corrompus ouvre une béance existentielle que nous préférerions par rêverie ingénue et puérile éviter mais si elle n’est pas évitée, peut-être pourrait-elle nous « sauver » d’un bon nombre de déceptions malheureuses jusqu’aux suicides désespérés de certains. Depuis l'Ancien Testament, depuis la Genèse, le péché d'Adam et Ève, la marque de notre corruption, nous fait croire que nous pourrions sortir de cette malédiction en nous rapprochant des dieux, d’un dieu ou d’une morale ascétique et disciplinaire et en nous faisant croire, qu’au fond, nous sommes de braves gens exempts de toute corruption. Le philosophe Pascal reprochait à l'homme sa concupiscence, autrement dit son penchant à l'envie, son penchant au vice mais croyait encore en une forme de rédemption morale. Hobbes, en revanche, faisait remarquer que l'homme est un loup pour l'homme. Selon ce philosophe la satisfaction des désirs égoïstes et des désirs matériels concourt à organiser un système pervers pour pouvoir vivre sans s’entretuer. Quant à Nietzsche, il est nécessaire de questionner et non pas de rechercher la vérité comme « en soi ». Plutôt créer des valeurs nouvelles plus favorables à la nature humaine. Pour Nietzsche l'optimisme de Socrate découle de la faiblesse plutôt que de la force vitale. Selon lui, l'homme théorique cherche à échapper à la souffrance en reniant l'importance du corps et des instincts. Ainsi, Nietzsche suggère que la métaphysique platonicienne émerge d'une réaction à la souffrance humaine, guidée par une volonté de puissance affaiblie et un optimisme rationnel, plutôt que par une affirmation vigoureuse de la vie et de ses forces.

Deuil nécessaire

Ne serait-il pas salutaire de faire le deuil des illusions idéalistes et de reconnaître notre nature corrompue, aliénée et « névrosée » ? Ce constat sortirait-il l’homme de la caverne des illusions et des désirs ou rêves impossibles pour voir à la lumière du jour, qu’ici-bas dans sa caverne le monde semblait bien meilleur que celui extra-muros qui va lui démontrer l’avidité et la vilité de la nature humaine ? Ne devrions donc pas nous réconcilier avec notre nature, telle qu’elle est, plutôt que de croire en une possible vertu inhérente et accessible ? Serait-il possible de concevoir que rien ne se fait par passion ou par conviction mais par intérêt ? Conscience monnayable, promesses intenables, amour de stuc et de staff, éthique de convenance selon les circonstances, etc. La corruption n’est pas un terme que l’on peut définir, il est un terme « en soi » qui, pourrait-on dire, est un état inhérent à l’être humain. Seul un être libre peut être dit corrompu car il est corrompu en soi et conscient de l’être sans aucune autre possibilité.

Conclusion

La réévaluation critique de l'Idéalisme platonicien et des notions traditionnelles de vertu et de pureté morale nous amène à un constat troublant : l'illusion d'une nature humaine intrinsèquement bonne et d'un monde idéal est susceptible de nous éloigner de la réalité complexe mais lucide. En défiant les conceptions établies, nous sommes confrontés à la nécessité de nous réconcilier avec la nature corrompue, névrosée et aliénée de l'homme, tout en reconnaissant les nuances et les contradictions qui caractérisent notre condition. Cette remise en question nous invite à adopter une approche plus lucide et pragmatique de l'éthique et de la conscience, en reconnaissant que notre comportement est souvent motivé par des intérêts personnels plutôt que par des principes moraux absolus. En faisant le deuil des illusions idéalistes, nous pouvons embrasser une conscience plus mature et expérimentée, consciente des réalités du monde et de la complexité de la nature humaine.

Ainsi, plutôt que de rechercher un idéal inaccessible, nous sommes appelés à trouver la vérité dans l'acceptation de notre humanité imparfaite et dans la recherche de valeurs nouvelles et authentiques qui reflètent notre condition réelle.

En fin de compte, c'est dans cette confrontation avec la réalité et dans la quête constante de compréhension de soi que réside le chemin vers une véritable liberté et une conscience éclairée.

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