La farce du destin ou jeux facétieux un jour de pluie

LA FARCE DU DESTIN OU JEUX FACETIEUX UN JOUR DE PLUIE

Questions brûlantes sur les notions de responsabilité et de changement

Comme je travaille actuellement sur Platon, je vais prendre comme prétexte de jeu facétieux (ou pas), la lecture du mythe d'Er, récit eschatologique s'inscrivant dans les sagesses orphiques et pythagoriciennes. Ce mythe explore la réincarnation et la transmigration des âmes. On le trouve en clôture du dixième livre de « La République » de Platon, où est évoqué le jugement des âmes après leur trépas.

Quelques éléments du mythe

Er, descendant d'Arménios originaire de Pamphylie, intrépide guerrier a péri au champ d'honneur. Il est renvoyé d'entre les morts pour témoigner sur son séjour.

Ce mythe dépeint un système de rétributions et de châtiments où les âmes justes s'érigent en bénéficiaires, tandis que celles des pécheurs subissent de terribles supplices.

La conduite et les agissements, pendant la vie mortelle, dirigent l'âme dans le ciel ou sous la terre. Deux ouvertures permettent aux âmes de prendre leur chemin. Plus loin, deux autres ouvertures voient les âmes revenir du lieu (ciel ou souterrain) où elles avaient été envoyées.

De retour à leur point de départ après un trajet semblable à un « long voyage » elles prennent toutes le même chemin. Celles qui ont été sous terre ont été suffisamment punies pour réintégrer le même rang que toutes les autres âmes, sans plus de distinction.

Elles se trouvent toutes maintenant face à la déesse Ananké, personnification de la Nécessité et du Destin. Celle-ci tient un fuseau qui tourne et qui, en tournant, meut le ciel. Les trois filles de la Nécessité, Lachésis, Clotho et Atropos, s'en servent pour fabriquer de nombreux "modèles de vies" que les âmes ramasseront en espérant trouver une meilleure vie pour leur réincarnation.

Mais l'ordre de passage est tiré au sort ; chaque âme, une fois son tour venu, choisit un « modèle de vie » et ce choix sanctionné par la Nécessité est irréversible. De plus, les derniers ont moins de choix.

Ce faisant, l’âme choisit un « démon », être intermédiaire, sorte de génie ou de gardien qui l'aidera à suivre ce qui a été déterminé pour elle. Un porte-parole de Lachésis explique qu'il est nécessaire, avant sa réincarnation, de boire de l'eau du fleuve de l'Oubli, le Léthé, cela permet d'effacer la mémoire avant cette transition. Et de rajouter que la responsabilité de chacun doit être assumée car « Dieu est hors de cause ».

Quelle destinée ? Quelle responsabilité ?

Dans son ouvrage « Le temps qui reste », le philosophe Giorgio Agamben revisite ce mythe avec minutie, soulevant des critiques sur la notion de choix du « modèle de vie » qui va destiner l'individu lors de sa réincarnation. Il questionne la liberté de choix, observant que les âmes sont prises dans un processus déterministe où leur sort est déjà scellé.

Nous pouvons facilement remarquer, en effet, que le prétendu choix final est conditionné par un bon nombre de dispositions qui donne à ce mythe l’allure d’une comédie. Outre le tirage au sort, les conditions du choix se définissent selon un destin prédisposé. Ceux qui ont généré la violence, seront attirés vers des « modèles de vies » violents. Il y a une prédestination qui concourt à faire remarquer que les mauvais restent mauvais et inversement les justes restent justes.

En lisant ce mythe on remarque que Platon expose des limites au libre arbitre tout en demandant paradoxalement à chacun d'être responsable de son choix. En somme chaque âme choisit en fonction de son rang et l'option est influencé par ses vies passées ; reflets de son caractère, de ses comportements et de ses expériences antérieures.

Il est narré qu'un tyran qui a eu, pourtant, la chance de passer en premier, se retrouve à tirer - comme par mauvaise intuition et interprétation - une vie de futur tyran dont les souffrances seront encore plus douloureuses que dans sa vie précédente.

Ironie du destin

Bien que le mythe d'Er contienne des éléments tragiques et réfléchisse sérieusement sur des questions existentielles, il peut également être interprété avec une certaine ironie pour plusieurs raisons.

Les âmes sont récompensées ou punies en fonction de leurs actions terrestres et à mesure que l'histoire progresse, il devient évident qu’elles choisissent le plus souvent des vies similaires à celles qu'elles ont déjà vécues. Ici les attentes traditionnelles d'un jugement divin et d'une récompense ou d'une punition éternelle sont subverties. Et bien que les âmes soient censées tirer des leçons de leurs vies passées pour s'améliorer dans leur prochaine incarnation, le fait qu'elles choisissent souvent des vies similaires suggère un cycle de répétition plutôt qu'un progrès linéaire. Cela contredit l'idée d'une progression morale ou spirituelle constante. En outre, si les âmes ont la possibilité de choisir leur prochaine vie en fonction de différentes options présentées par les dieux, leurs choix sont souvent influencés par des désirs terrestres et des considérations superficielles plutôt que par une réflexion profonde. Cette ironie réside dans le contraste entre la capacité des âmes à apprendre et à évoluer et leur tendance à retomber dans des schémas familiers. Enfin, certaines des vies choisies par les âmes dépendent du hasard (tirage au sort) plutôt que d'un processus délibéré de choix éclairé. Quadruple ironie de la vie humaine, où des événements arbitraires ont un impact considérable sur le cours de l'existence !

Si la liberté du choix de notre avenir est limité, quelle responsabilité et quelles évolutions sont possibles ?

Dis-moi ce que tu es, ce que tu fais et ce que tu penses, je te prédirai ton destin.

Les dés sont-ils jetés ?

Les changements dont nous croyons profiter sont-ils finalement limités dans le sillage d’une fatalité dont nous sommes les acteurs d’une comédie humaine ?

La question du libre arbitre demeure épineuse. Le mythe d'Er, en exposant la pseudo-liberté des âmes face à un destin préétabli, invite à remettre en question notre compréhension traditionnelle du libre arbitre.

Peut-être sommes-nous, moins les maîtres de nos choix que nous le pensions.

Peut-être sommes-nous seulement les acteurs d’un scénario absurde et tragi-comique déjà écrit.

Peut-être jouons-nous nos rôles sans véritable pouvoir de dénouement.

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Enfin, la question que personne n'a jamais posée pourraient être: quel est le rôle réel de Er dans cette histoire ?

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La pluie s'arrête, ce jeu facétieux (ou pas), se termine...

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